Léopard d'or du dernier Festival de Locarno, ce road-movie percutant tourné clandestinement en petite équipe, reflète l’élan de liberté féroce qui anime la nouvelle génération iranienne.

Le film pourrait être une dystopie tant le réalisme traditionnel iranien est tenu éloigné de l'intrigue. Cependant, Ali Ahmadzadeh reprend le procédé de Jafar Panahi mais aussi d'Abbas Kiarostami consistant à inviter la société iranienne dans sa diversité à venir s'exprimer dans l'espace clos d'une voiture pour libérer une parole opprimée. L'ouverture du film avec une caméra subjective qui prend la place d'une ambulance plongeant dans les veines souterraines de Téhéran dans de longs tunnels à la lumière clinique glaciale, laisse envisager d'autant mieux un récit de science-fiction que l'usage de ladite ambulance à la conduite fiévreuse est détournée de son usage habituel. Cette plongée dans un Téhéran interdit mobilise la folie furieuse et expérimentale du cinéma de Gaspar Noé (cf. Enter the Void, 2009) dans le même désir de bouleverser les codes d'appréhension du réel. Pourtant, ici, aucune scène de violence ne vient exploser pour nourrir un climax mais des personnages sont prêts à crier leur rage intérieur à l'image de cette femme hurlant l'oppression éprouvée au-dessus du toit de la voiture dans les rues désertes de la ville nocturne. Le protagoniste est un personnage hors du commun situé entre le dealer, l'adulescent reclus seul chez lui avec son chien, le révolutionnaire encourageant l'esprit de révolte et la figure sainte du sauveur aux traits œcuméniques christique, chamanique et musulmane où [le sacré-profane] est questionné d'une manière qui n'aurait pas déplu à Pasolini et dont la voix intérieure qui le guide à l'image de Jeanne d'Arc est celle d'un GPS.

Accompagnées d’une musique électronique mélancolique, les rondes nocturnes d’Amir servent de prétexte à un portrait de groupe d’une partie méconnue de la société iranienne, celle habituellement reléguée aux marges : toxicomanes, prostituées trans, mais aussi mères conservatrices pleines de contradictions. C’est un visage du pays qu’on a peu l’habitude de voir dans le cinéma iranien, et dévoiler ce dernier n’a pas été chose facile pour le réalisateur Ali Ahmadzadeh. Critical Zone a en effet était tourné entièrement clandestinement avec une équipe très réduite, des acteurs non-professionnels et des caméras cachées. Ahmadzadeh a même refusé de montrer le film fini au comité de censure, faisant de son long métrage une authentique œuvre clandestine.